
Delès, désormais co-empereur, découvre l’envergure écrasante de son rôle. Conseillé par des figures anciennes de la Valagie, il consacre ses journées à l’organisation militaire et politique : il ordonne le redéploiement des légions, renforce les frontières orientales, envoie des soldats vers les montagnes pour proposer un appui militaire comme Marchepierre l’a requis. Aux côtés de Livia, il façonne les premiers jalons d’un nouveau pacte impérial, tout en gardant un œil vers l’horizon. Grelot, lui, s’éloigne brièvement du cercle du pouvoir. Il déambule dans les places et les halles, à l’écoute du peuple, mesurant la façon dont les habitants perçoivent ce changement de règne. Ses oreilles fines saisissent autant les espoirs que les murmures de doute. Certains acclament la nouvelle dynastie, d’autres redoutent les nouveaux pactes.

Minerva, préoccupée par l’instabilité grandissante de la trame magique, demande à Delèss une audience auprès des érudits de Valagie. Accompagnée par Grelot, elle est introduite dans l’enceinte vénérable de l’Académie des Savoirs, un édifice calme au cœur d’un jardin minéral. Là, ils rencontrent Lairos Krell, érudit aux tempes argentées, dont la voix semble venir d’une autre époque. Il les reçoit avec curiosité et écoute. La discussion, d’abord savante, devient bientôt inquiète et passionnée. Lairos confirme leurs craintes : la magie s’érode, comme si une faille invisible aspirait lentement l’essence du monde. Il évoque des effondrements sporadiques de sorts, des lignes telluriques instables, des objets magiques moins efficaces. Dans le sillage de Minerva qui peaufine l’idée depuis quelques temps, ils évoquent la création d’un canal stabilisateur, une trame artificielle, capable de collecter et redistribuer l’énergie magique. Une entreprise colossale, mais peut-être nécessaire. Minerva, toujours lucide, note chaque hypothèse et présente au sage l’artefact qu’elle a créé : un cristal pyramidal d’une grande pureté capable de recevoir et canaliser les flux magiques. Après de longues heures d’échanges, Lairos se met au travail.

Pendant ce temps, Delès et Mork alertés par le manège d’un volatile, essaie de retrouver sa trace et se retrouvent à remonter vers les hauteurs du sanctuaire du Parn Geddar et du Temple du Roi des Tempêtes. En fouillant les pentes, ils finissent par trouver une série de cadavres de petits animaux dont les dépouilles semblent déformées, comme corrompues par une force sinistre. Non loin, les deux combattants trouvent les traces d’une cercle magique évoquant une téléportation ou une évocation et subodorent que c’est par ce biais que l’esprit de Kentros, le centaure gardien des pics a pu être souillé.

Le soir venu, Grelot, résolu, tente un geste audacieux. Dans l’amphithéâtre, il rassemble une foule hétéroclite pour offrir un spectacle unique : un chant, une mise en scène intense et dramatique destinée à canaliser l’émotion collective et à l’infuser dans une résonance magique afin de tenter de la convertir en un flux magique. Mobilisant tout son art, la voix et l’instrument du barde tentent de cristalliser le tout en un focus d’émotion brute. En dépit de son immense talent, la connexion à la trame de la magie ne se concrétise pas. L’effet demeure magnifique et la trace qu’il laisse chez tous les participants demeure immense. L’air reste toutefois chargée d’une immense émotion non canalisée.

Car tous, même séparés, vivent le même rêve, comme tissés dans une même toile. Ils se retrouvent dans une brume épaisse, sur l’île de Clasthamus, au bord d’un lac sans reflet. Là, ils assistent à une scène figée, presque rituelle : la mort de Pirlipopox, figure de leur passé, et la transformation d’Akell Macar, dans un dernier souffle, en un arbre reliquaire, dont les racines enveloppent les statues de héros oubliés. Le temps se tord. Le rêve s’achève dans un gémissement de vent qui semble vouloir les arracher du sommeil. Au réveil, chacun reste un long moment figé dans le silence, le souvenir encore brûlant dans leurs chairs.

Le lendemain, les Gardiens de l’Eternelle Aurore décident de tenter une nouvelle expérience. Grelot demande à ses compagnons de le « tuer » pour lui permettre de franchir la barrière entre les vivants et les morts. Mork et Delès , à contrecœur, acceptent de décapiter le barde, plongeant le barde bicolore dans l’Outremonde. Dans le royaume gris de la Mort, il erre. Autour de lui flottent des âmes désorientées, silencieuses. Après une longue errance, au cours de laquelle il ramène une nouvelle âme vers le monde des vivants, il croise d’autres âmes comme la sienne, encore chargée des souvenirs de leur vie et tente de tendre la main à l’une d’elles, de l’arracher à l’oubli, mais une force puissante le rejette, brutale, presque consciente. Quelque chose veille, dans l’ombre du royaume des morts, une silhouette décharnée et immense — quelque chose qui ne veut pas qu’on dérange l’ordre établi. Il est brutalement propulsé à nouveau vers le monde des vivants, ramené dans son corps, glacé.