Le petit livre rouge de Tyr

La Tour des Soupirs

La tour des soupirs était l’une des plus vieilles du monastère. Etroite lance de pierre s’élevant dans le ciel, son austérité n’était compensée que par les rosiers grimpants qui rampaient le long de son flanc ouest.

L’Acolyte savait qu’ici, tout en haut de cette flèche grise qui avait triste réputation au monastère, il allait trouver des reposes à ses questions. C’était d’ailleurs l’objet même de son existence : trouver des réponses. C’est entre ces murs que les acolytes qui avaient des questions mystiques étaient dirigés. Peu nombreux étaient cependant ceux qui osaient braver ses 693 marches pour trouver des réponses. Il fallait, selon une tradition séculaire, emprunter les marches pieds nus, et les marches étaient redoutables : tantôt glissantes, tantôt coupantes, tantôt hérissées de pointes…L’ascension demandait du temps, de la résilience et souvent les acolytes renonçaient rapidement à trouver des réponses à leur question.

L’Acolyte savait qu’il en avait la force, le courage et la détermination. Il monta les marches une à une, priant Tyr, mais ne comptant que sur lui-même. Les pieds douloureux et ensanglantés, il arriva en haut sur un petit pallier au-delà duquel se dressait une porte entrouverte.

– Entre, jeune Acolyte, fit une voix gutturale.

Cette voix grave et solennelle, l’Acolyte savait qu’elle appartenait au frère Tormund, un Paladin de haut rang, maintenant trop âgé pour guerroyer, mais suffisamment sage pour ne pas renoncer à ce qui lui restait d’esprit.

– Merci frère Tormund, dit l’Acolyte.

– Que viens tu chercher en ce lieu ? demanda le vieux frère.

Le frère était assis en tailleur au centre de la pièce circulaire. La robe beige et cyan laissaient deviner un corps solide, mais vouté, et son le capuchon sur sa tête ne permettait d’entrevoir que le bas d’un visage buriné par le temps, que de nombreuses batailles avaient couturé de cicatrices. Bien sûr, comme tout frère Paladin, son épée bâtarde n’était pas loin de sa main.

– Une réponse à une question qui me tient éveillé la nuit, mon frère.

– Bien. Tu as gagné le droit de poser ta question, jeune Acolyte, et j’essaierai de t’apporter la vérité, si tu es prêt à l’entendre.

– Beaucoup d’Acolytes, de frères et même certains clercs prétendent que les prières sont la nourriture des dieux. Est-ce vrai, frère ?

– Précise ta question, jeune Acolyte. Qu’est-ce que cette question évoque en ton esprit ?

– Hé bien, frère, si les prières sont la nourriture des Dieux, alors cela veut dire que plus nous prions, plus ils sont forts, et donc que la prière devrait être notre préoccupation principale, et que la voie qui plait le plus aux Dieux est la prêtrise et non le Palatinat.

– Ainsi voilà ta question, jeune Acolyte, dit le frère, et l’Acolyte pouvait sentir l’irritation dans sa voix, sans vraiment comprendre quelle en était la source. Je comprends la source de ton inquiétude. Et la conclusion à ce que lespières sont la nourritude des dieux est que si nous cessons tous de croire et de prier, alors les dieux pourraient en quelque sorte, mourir de faim. Telle est bien ton inquiétude, jeune Acolyte ?

– Vous avez deviné, frère Tormund. Est-il possible que les dieux meurent ainsi ? Ne sommes-nous qu’une source de nourriture pour eux ? Est-ce pour cela qu’ils nous commandent de prier ?

– Tu es un idiot, jeune Acolyte. Mais je vais essayer de t’éclairer en utilisant l’image que tu emploies, afin que ton esprit simplet puisse me suivre. Les Dieux n’ont pas besoin de besoin physique, comme nous. Par contre, ils ont des besoins mystiques, et les prières que nous leur adressons en font partie. Mais, ce besoin n’est pas vital pour eux. Après tout, nombreux sont les dieux qui existaient avant même que les être pensants existent. Et, bien sûr, leurs dieux de la nature ne reçoivent aucune prière des bêtes des bois ou des plantes. Pourtant, les prières sont bonnes pour les dieux, de la même manière que les épices donnent du gout aux aliments que tu manges. Il plait aux dieux de recevoir ce plaisir que nous leur adressons. Notre ferveur, les mots dans nos bouches et les sentiments dans nos cœurs, changent les saveurs de nos prières, et les rendent, plus forte, plus exotiques ou piquants, tout comme les épices, les herbes et la viande mélangés changent les saveurs de ce que nous mangeons. Les dieux, tout comme nous, aiment à gouter ce qui leur plait, mais aussi à découvrir des nouvelles saveurs. Ainsi, il existe des prières pour la guerre, la paix, l’amour, la douleur et autant de circonstances de la vie, ou de la mort, afin qu’il plaise aux dieux de gouter des saveurs différentes. Ainsi donc, les prières ne nourrissent pas les dieux, mais il leur plait d’en recevoir. Est-ce que tu comprends ?

– Je pense que oui, frère, répondit humblement l’Acolyte.

– Non, tu ne comprends pas. Tu en déduit que le Paladinat reste une forme inférieure d’implication dans le plaisir des Dieux…

– N’est-ce pas ce qu’il faut en déduire ? Si les prières plaisent aux dieux, alors les Clercs, avec leurs prières constantes, leurs plaisent plus, non ?

– Tu entends avec tes oreilles et tu penses avec ton esprit, là ou il faut écouter avec ton âme et penser avec ton cœur. Les dieux n’ont pas besoin de prières constantes et en grande quantité, de la même manière que lorsque tu es rassasié tu n’as pas besoin de plus de nourriture ! Le cadeau de prière leur arrive lorsque ton cœur et ton âme a envi de leur adresser tes pensées et tes actions. Ainsi donc, le retrait, et la prière n’a pas plus ou moins de valeur que labourer un champ ou combattre un ennemi. L’essentiel est dans le sens que tu donnes à ton action. Chaque geste, chaque pensée, ou sentiment peut être une prière, du moment que tu le tourne vers les dieux. Le Paladinat tourne son action vers les dieux, tout comme les prêtres tournent leurs mots vers eux. Les deux sont différents, mais les deux plaisent aux dieux, car chacun apporte une saveur différente.

– Je comprends, frère.

– Vraiment, répondit le frère avec un soupçon de menace dans la voix. A ce timbre de voix, l’Acolyte sentit que de ce qu’il dirait pourrait dépendre de nombreuses choses, et il regarda avec une certaine anxiété la fenêtre d’où le frère Tormund pouvait très bien de faire passer s’il lui en prenait l’envie.

– Oui, frère. Les dieux ont du gout pour nos mots et nos actes, et c’est dans la qualité, la pureté de nos actions ou de nos mots qu’ils reçoivent ce plaisir. Ils n’ont pas besoin de nous, mais aiment à ce que nous leur adressions les plaisirs et les douleurs de nos corps, les peines et les joies de nos cœurs. Ainsi, ils sont à la fois spectateurs et acteurs par procuration de nos vies. Par nous, ils vivent une infinité de vies, une éternité de sensations et de sentiments.

– Bien, bien, tu commences à comprendre…

– Merci frère Tromund, je vais me retirer à présent et vous laisser à vos méditations.

L’Acolyte se dirigea vers la porte, prenant une longue inspiration avant d’emprunter les marches qui lui promettaient un calvaire. La voix du frère Tormund résonna alors un court instant qui changea la perspective de la descente : « Acolyte ! Dédit ton chemin de retour à ton Dieu, qu’il puisse gouter ta valeur et ta force de caractère. Quel est ton nom ? »

L’Acolyte répondit simplement « Amalruil »

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